Opinion

Le tee-shirt du fromager de la ferme de Moyembrie porte cette inscription : "Fini le gris". Fini le gris de l'existence carcérale quittée pour venir travailler à la ferme. Fini le bruit de l'incarcération où l'on n'entend pas les oiseaux, seulement les cris d'autres drôles d'oiseaux. Finie la mauvaise bouffe. Fini, surtout, ce temps de destruction ("je ne savais pas que la prison servait aussi à détruire"), ce temps où disparaissent famille, logement, travail, amis et même permis de conduire, ce temps où l'on est seul, ou alors avec des "amis de prison", où "plus personne autour de toi" n'apporte de soutien et n'aide à voir clair.

Nicolas Ferran et Samuel Gautier ont planté caméra et micro à la ferme qui accueille, dans l'Aisne, entre quinze et dix-huit personnes dont la peine est aménagée par le juge de l'application des peines sous forme de placement extérieur. L'exploitation pratique le maraîchage, élève les chèvres pour le lait et les fromages, vend des produits biologiques. Elle accueille des personnes détenues, parfois condamnées lourdement, souvent plus âgées que la moyenne. La seule condition : avoir le projet d'une autre vie. En échange, la ferme fournit le logement (parfois dans une "maison relais"), le travail, une qualification, des moyens de "s'en sortir" (apprendre le code de la route) et par-dessus tout la confiance : "ce qui fait que la ferme fonctionne, dit un encadrant c'est que ce que tu me dis, je le prends pour argent comptant". En prison, la parole n'a guère d'importance; à Moyembrie, c'est l'inverse.

Un certain nombre d'entre eux ont accepté de parler de leur vie avant la prison, et aussi de l'incarcération et de ce que leur donne la ferme. Tout n'est pas simple. Le succès n'est pas garanti. Jean-Marc, qui a décidé de partir, le regrette déjà et il téléphone tous les jours : il attend qu'on lui dise de revenir. Greg n'a pas trop d'idée sur ce qui suivra. Il est encore incapable d'en avoir. Pourtant, il faut "propulser vers l'avant". La ferme n'est pas, en dépit des apparences, un lieu de villégiature idyllique. C'est celui d'un combat mené avec l'équipe des responsables (étonnante Anne-Marie) et des trois encadrants (Philippe - lui-même ancien de prison - Rémi et Simon) pour arriver à sortir chacun de la délinquance mais aussi extirper de soi ce qu'y a laissé la détention. Le chant des oiseaux, l'odeur du foin, la course des chèvres et même le visage des enfants, le jour où la ferme s'ouvre en "portes ouvertes" ne peut cacher les meurtrissures.

Une seule certitude pourtant : là, on parviendra à les vaincre moins difficilement qu'ailleurs. La ferme de Moyembrie n'est peut-être pas la solution pour tous ceux qui font de la prison, comme l'évoquent deux des encadrants, mais elle est sûrement une des solutions qui devrait réduire les délais de détention et diminuer les risques de récidive. La vie sociale, la confiance donnée (comme le dit un autre partant), la conscience de revivre sa liberté, le retour du temps (le cycle agricole, dit l'un d'eux), le soin des animaux et de la nature sont les ingrédients du retour à la vie.

En 2013, les juges de l'application des peines ont accordé 2 176 placements extérieurs comme ceux accordés pour Moyembrie. Le même nombre, pratiquement, qu'en 1990 (2 193) alors que, dans le même temps, la population détenue s'est accrue de 16%. Autant dire qu'il reste à faire évoluer les esprits pour aussi consolider ce qui existe ; "la ferme, c'est fragile ; si on fait la moindre connerie, la ferme, c'est fini" dit encore un encadrant. Autant dire aussi qu'il reste du chemin pour multiplier les Moyembrie et augmenter les chances d'une réinsertion heureuse.

Tant mieux si, au-delà la réconciliation nécessaire entre ceux qui ont fait une "bêtise" et ceux qui regarderont le film, celui-ci incite les responsables à prendre les décisions nécessaires pour qu'enfin la sortie de prison se fasse mieux qu'elle ne se fait aujourd'hui.

Jean-Marie Delarue (Ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté)